Pour le Président de la Région Grand Est, accompagner la cession d’entreprise, ce n’est pas seulement sauver des emplois : c’est éviter que des territoires entiers ne se vident de leur substance. Il plaide pour une meilleure anticipation et défend un accompagnement de qualité et gratuit, au moins dans ses premières étapes.

Quel regard portez-vous sur la transmission-reprise d’entreprise, depuis votre arrivée à la tête de la Région Grand Est ?

Franck Leroy : C’est un enjeu que de nombreux responsables publics ont identifié bien avant moi. En tant que président d’agglomération – je le suis toujours – et ancien maire d’Épernay, j’avais pleinement conscience de cette problématique. La démographie nous le rappelle : l’âge moyen de nos chefs d’entreprise augmente. Aujourd’hui, environ 50 % d’entre eux ont plus de 50 ans, et 25 % ont plus de 60 ans. Cela signifie que beaucoup d’entreprises approchent une échéance : soit une transmission, soit, malheureusement, une fermeture.

Il est donc crucial d’anticiper, pour éviter une perte de substance économique. Il s’agit souvent de PME ou de TPE ancrées dans le tissu local ; et leur disparition pourrait fragiliser nos territoires, en particulier en milieu rural.

Justement, les plus concernées sont souvent les petites entreprises en zone rurale ou périurbaine : le Pacte Transmission-Reprise peut-il aussi être perçu comme un levier d’aménagement du territoire ?

Franck Leroy : Oui, tout à fait. Préserver un tissu dense de TPE et de PME, c’est préserver une richesse de proximité. Ces entreprises génèrent de la valeur, offrent de l’emploi et permettent aux chefs d’entreprise de vivre correctement de leur activité.

Les voir disparaître, simplement parce que la transmission n’a pas été anticipée ou accompagnée, serait une grande perte. La transmission – comme l’achat d’une entreprise – n’est pas un acte anodin. Cela demande un accompagnement solide. La Région a donc décidé de s’appuyer sur les expertises existantes, en particulier celles des chambres de métiers et d’artisanat, et des chambres de commerce et d’industrie. Le Pacte est né de cette volonté de coopération et d’efficacité.

Les présidents de la CMA et de la CCI insistent sur la nécessité d’anticiper. Pensez-vous que le Pacte contribue à lever les freins autour de la cession ?

Franck Leroy : Oui, le Pacte sécurise la démarche. La transmission d’entreprise n’est jamais simple, surtout pour un dirigeant qui n’y a jamais été confronté. Ceux qui ont créé leur entreprise – et c’est souvent le cas – n’ont pas d’expérience préalable en la matière. Arrivés à l’âge de la retraite, ils peuvent manquer de recul ou d’énergie pour mener à bien cette phase délicate. Se sentir accompagné, conseillé, permet de franchir ce cap plus sereinement.

Les retours sont parlants : deux tiers des bénéficiaires, qu’ils soient cédants ou repreneurs, estiment avoir été bien accompagnés. Pour les repreneurs aussi, l’accompagnement est essentiel. Qu’ils soient salariés de l’entreprise, en reconversion, ou jeunes entrepreneurs, ils n’ont pas tous l’expérience de ce type de projet. Le risque d’échec existe, et chaque échec est une entreprise qui disparaît.

C’est pourquoi nous devons maintenir un haut niveau de performance dans notre accompagnement, grâce à ce partenariat solide avec les chambres consulaires, qui ont l’expérience, les réseaux et la proximité.

À ce stade de la deuxième convention du Pacte, quels résultats vous semblent les plus significatifs ?

Franck Leroy : Depuis le renouvellement du Pacte en 2023, plus de 3 200 accompagnements individuels ont été réalisés, et 245 actions collectives organisées. C’est cette double approche qui est importante : les actions collectives permettent de sensibiliser, de détecter des besoins, et bien souvent, elles déclenchent ensuite un accompagnement individuel.

Cela permet aussi à des porteurs de projets isolés de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. Certains se tournent spontanément vers les chambres consulaires ; d’autres ne les découvrent qu’à l’occasion d’un atelier ou d’une conférence. Une fois la porte franchie, ils bénéficient de compétences réelles qui peuvent éviter des erreurs parfois fatales.

Franck Leroy, Président de la Région Grand Est – Photo : Christophe Manquillet – Région Grand Est

Comment qualifieriez-vous la dynamique partenariale entre la Région, la CMA et la CCI à travers ce Pacte ?

Franck Leroy : C’est une collaboration efficace et intelligente. La Région apporte des financements, mais elle n’a pas, à elle seule, les ressources humaines pour accompagner directement les porteurs de projet. Nous avons à nos côtés des réseaux historiques, dotés de compétences solides, portés par des chefs d’entreprise et leurs équipes.

Plutôt que de recréer un réseau, nous avons préféré faire confiance à l’existant. C’est une approche pragmatique, immédiatement opérationnelle, et qui bénéficie à tous.

Ce modèle pourrait-il inspirer d’autres politiques économiques régionales ?

Franck Leroy : C’est déjà le cas. Dès 2020, nous avons lancé la première version d’un « Business Act Grand Est », pour répondre aux bouleversements économiques. L’idée était d’identifier les besoins des entreprises et d’y répondre par des solutions locales, avec des experts régionaux, qu’il s’agisse de numérique, de cybersécurité, de transition énergétique ou d’innovation. L’acte 3 est en cours. C’est ce que nous appelons les « Parcours de transformation Grand Est ». Ils créent une forme d’économie circulaire territoriale : les difficultés de certains trouvent une réponse dans les compétences d’autres, sur le même territoire. Cela crée des liens, de la confiance, et renforce l’écosystème local.

Comment transformer davantage d’accompagnements en transmissions réussies ?

Franck Leroy : Il faut tout simplement que davantage d’entreprises se tournent vers l’accompagnement. Trop souvent, les démarches sont lancées tardivement, quelques semaines avant le départ à la retraite. Une transmission bien préparée est toujours plus sereine.

Du côté des repreneurs, il faut aussi favoriser la détection et la formation. Reprendre une entreprise, ça ne s’improvise pas. C’est un acte important, qui demande des compétences, une préparation, un accompagnement. Et c’est pourquoi le rôle des chambres et de la Région est essentiel.

La gratuité de l’accompagnement est un atout fort du Pacte Transmission-Reprise. Est-elle tenable à long terme ?

Franck Leroy : Cela dépendra de la disponibilité des fonds européens et de la situation financière des collectivités. Je crois cependant qu’il est souhaitable de maintenir la gratuité sur la phase initiale du parcours.

Par la suite, une fois l’entreprise reprise ou créée, l’accompagnement post-création pourrait éventuellement devenir payant. C’est un service à forte valeur ajoutée, et les retours que nous avons montrent que les chefs d’entreprise y trouvent un vrai bénéfice. Ce n’est donc pas absurde d’imaginer une participation à terme, si les contraintes budgétaires l’imposent.

La création d’entreprise bénéficie souvent d’une meilleure image que la reprise, notamment chez les jeunes. Comment valoriser la transmission ?

Franck Leroy : C’est vrai. La création semble plus noble dans l’imaginaire collectif. La reprise est parfois associée, à tort, à du « dépeçage » d’entreprises. Il faut changer cette perception. Reprendre une entreprise, c’est aussi écrire une nouvelle page. C’est capitaliser sur une histoire, une clientèle, des savoir-faire.

Et parfois, c’est aussi bâtir un projet plus ambitieux, en regroupant plusieurs structures, en innovant. La reprise doit être valorisée comme une vraie voie d’entrepreneuriat.

D’un mot : que représente le Pacte Transmission-Reprise pour la Région Grand Est ?

Franck Leroy : C’est un outil indispensable. Il permet de préserver notre patrimoine économique. On ne peut se contenter de miser sur les grandes implantations d’entreprises. Si, à côté, on perd chaque année des dizaines, voire des centaines de TPE, faute de transmission, le solde est négatif.

C’est pour cela que nous avons intégré la transmission dans notre Pacte des ruralités, avec des dispositifs spécifiques. Car la sauvegarde du dernier commerce dans un village, par exemple, c’est une question de vie locale, de lien social.

Les entreprises font partie du patrimoine vivant de nos territoires. Notre devoir, c’est de les accompagner, pour les faire perdurer, se transmettre, et continuer à faire vivre nos communes, nos bourgs, nos quartiers.

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