Dans une démarche collaborative inédite, la Région Grand Est et ses chambres consulaires ont renouvelé jusqu’en 2025 la convention qui les unit, pour accompagner la transmission et la reprise d’entreprise. Bilan, ambitions, défis, succès : entretien fleuve et croisé avec Christophe Richard, président de la CMA Grand Est, et Jean-Paul Hasseler, président de la CCI Grand Est.

La convention du Pacte Transmission-Reprise a été renouvelée jusqu’en 2025.
Quel bilan dressez-vous de la précédente convention ?

Christophe Richard : Avec le recul, le bilan est très positif. Nous avons gagné en visibilité, aujourd’hui, sur notre accompagnement auprès des cédants et repreneurs. Nous sommes mieux identifiés auprès des publics concernés. Ensuite, ce Pacte nous a permis, avec la CCI, de travailler à une programmation conjointe d’actions collectives. Réunir nos forces et nos atouts sur le sujet de la transmission-reprise est une opportunité pour toutes les personnes qui ont besoin d’être accompagnées dans ce domaine, ce qui me semble essentiel.

Jean-Paul Hasseler : La transmission des petites entreprises est forcément un enjeu économique et social majeur pour la région de Grand-Est. Si la région a renouvelé son engagement, c’est qu’il a porté ses fruits. Et peut-être aussi parce que le besoin est de plus en plus fort. En termes d’impact, les résultats sont là. Entre 2019 et 2022, les actions individuelles et collectives déployées grâce au Pacte ont permis de sensibiliser ou d’accompagner près de 6 000 repreneurs cédants et de réaliser plus de 6 500 accompagnements individuels. 3 500 sur 6 000, c’est énorme. Ça fait pratiquement 50 % des repreneurs ou des cédants, qu’on a accompagnés, qu’on a sensibilisés dans un premier temps, qu’on va accompagner derrière. Donc, je veux dire, c’est top comme chiffre. Et je pense que la satisfaction de la région vient aussi de ça. Ça n’a pas juste du sens, en fait. C’est concret. Un dispositif reconduit et donc aujourd’hui majeur, à la fois en termes de croissance et d’emploi, mais également comme vecteur de préservation de savoir-faire et d’attractivité sur nos territoires, et plus particulièrement sur les territoires ruraux.

On constate un accompagnement plus conséquent au niveau des cédants qu’au niveau des repreneurs.

Christophe Richard : Ça me parait logique. Quand vous avez une entreprise, que vous n’avez pas de repreneur peut-être au niveau familial, ou que ça ne se fait pas naturellement : bien sûr, automatiquement, l’offre est importante. Après, je pense qu’il faut dynamiser ou redorer peut-être l’image des entreprises artisanales qui peuvent être reprises, auprès des jeunes notamment. Il faut donner envie aux jeunes. C’est comme ça qu’on fait naître des vocations.

M. Hasseler, de votre côté, vous avez parlé de ruralité, c’est forcément une affaire de petites entreprises ?

Jean-Paul Hasseler : Toutes les entreprises au-dessous 50 salariés rencontrent à mon avis la même problématique, c’est-à-dire que la reprise ou la transmission ne font partie des préoccupations premières. Souvent, ce sont des entreprises de structure familiale, et la préoccupation intervient le jour où le dirigeant de l’entreprise arrive à la retraite. On se dit « tiens, il faudrait peut-être songer à transmettre l’entreprise ». Et il suffit que dans la famille, les enfants ne reprennent pas le flambeau pour que soudain, l’entreprise se retrouve dans une zone de difficulté.

C’est l’expérience du terrain qui parle dans votre réponse et justement : le Pacte Transmission-Reprise a-t-il évolué, entre les 2 conventions, en réponse aux retours des entreprises qu’il souhaite soutenir ?

Christophe Richard : Aujourd’hui, l’offre d’accompagnement a évolué et s’adapte au contexte du terrain. Donc, je pense qu’on en a tenu compte. C’est essentiel de faire preuve d’agilité et de réactivité dans le domaine, pour les entreprises qui nous consultent et qui n’ont pas forcément le temps d’attendre. Après, la démarche qu’on a là, c’est vraiment dans une anticipation de céder. Celui qui vient nous voir, qui veut céder dans 6 mois, c’est presque trop tard. Nous sommes vraiment dans une démarche d’anticipation.

Jean-Paul Hasseler : Globalement, on reste sur les mêmes objectifs fondamentaux du Pacte, c’est-à-dire identifier, détecter, sensibiliser, accompagner mais surtout, j’insiste également, anticiper dès aujourd’hui les sociétés, les boîtes qui sont susceptibles de transmettre. Car c’est souvent là que le bât blesse. À mon avis, c’est le terme sur lequel on doit, nous, consulaires, se mobiliser, parce que trop de repreneurs y vont la fleur au fusil, et c’est souvent ces gens-là qui ont du mal et qu’on retrouve trois ans après en difficulté parce qu’ils n’ont pas anticipé.

Mais de manière générale, c’est plutôt dans ses aspects techniques que le Pacte a évolué. On a notamment mis en place un accompagnement dans la durée du repreneur, après la signature. Ça, c’est une vraie évolution. Et c’est important parce qu’on a tendance à penser qu’une fois que la reprise est faite, ça y est, c’est bon, c’est plié. Mais il y a encore plein d’embuches derrière. Le cédant peut prendre sa retraite mais pour le repreneur, il y a une phase d’accompagnement qui est nécessaire à tous les niveaux, commercial notamment, mais aussi juridique,

Finalement, c’est ça que permet le Pacte : mettre en lumière ce besoin d’anticipation ?

Christophe Richard : C’est complexe la reprise. Je veux dire, entre un cédant qui veut céder et donc qui préfère peut-être garder une certaine discrétion pour ne pas alerter sa clientèle, pour ne pas faire peur au repreneur non plus. Mais s’il veut céder, il faut aussi qu’il en parle. Le sujet est un peu tabou. Le Pacte participe à la levée de ce tabou. Le Pacte Transmission-Reprise a peut-être cette vocation aussi à rassurer, justement, les repreneurs. Mais je pense aussi qu’il y a un autre gros enjeu avec la transmission, c’est aussi la transmission du savoir-faire de l’entreprise. Faire perdurer les métiers.

Parfois, on sent aussi que certaines institutions louent la création d’entreprise pure et dure comme la voie royale, alors qu’il y a des entreprises qui existent, qui ont une histoire, un savoir-faire, et sur lesquelles on peut s’appuyer pour construire sa propre histoire aussi ?

Jean-Paul Hasseler : Je suis complètement d’accord, à 100%. Bien évidemment, c’est la continuité d’une histoire. C’est bien, je trouve ça beau, de continuer une histoire. Et puis, c’est reprendre aussi une expérience. Une expérience de vie, mais une expérience professionnelle. Il y a déjà des bases qui sont acquises, ce qui va permettre aux repreneurs peut-être de moins souffrir dans les trois premières années car comme chacun le sait, ce sont toujours les trois premières années qui sont compliquées dans le cadre soit d’une création, soit d’une reprise. On est dans le même cadre. Si dans le cadre d’une reprise, on se retrouve déjà avec des acquis, avec des piliers qui ont été mis en place par le cédant, ça ne devrait être que positif. Moi, je le vois comme ça. Alors bon, si on écoute les écoles de commerce, effectivement, il faut créer, créer, créer. Quand il y a des choses qui existent, ça ne sert à rien de créer. Autant leur donner une seconde vie, les optimiser. Moi, je suis plus dans cette direction-là.

Christophe Richard : Aujourd’hui, quand on reprend une entreprise, on repart avec une clientèle potentielle. Je dis bien potentielle. Une clientèle n’est jamais totalement acquise. Mais c’est quand même, je trouve, un gage de réussite. Les jeunes ne le voient pas forcément comme ça. Mais il faut donner envie aux jeunes ! C’est comme ça qu’on fait naître des vocations. Alors, la création coûte peut-être un peu moins cher au départ aussi. Mais après, elle n’est pas forcément gage de réussite. Et une fois encore, ce qui m’importe également, c’est que nos entreprises existantes restent pérennes en termes d’emploi et en termes de savoir-faire.

Qu’est ce qui est le plus important pour vous, entre les deux indicateurs de performance principaux du pacte : le nombre de projets concrétisés ou le nombre d’accompagnements ?

Christophe Richard : Le nombre n’est pas forcément révélateur. Après, je dis souvent que c’est plutôt la qualité du public qu’on a en place. Après, ça, c’est une démarche un peu particulière : tout le monde ne transmet pas. Donc, les gens qu’on a là sont quand même dans une démarche de transmettre ou de reprendre une entreprise. Après, on peut avoir l’ambition de reprendre une entreprise et on voit très bien parmi les gens qu’on accompagne, il y en a qui ne sont pas forcément fixés sur le type d’entreprise à reprendre. Donc, c’est ça aussi notre travail. On va pouvoir éventuellement recentrer leurs objectifs, les tourner vers l’entreprise qui pourra les intéresser. C’est là aussi qu’on voit qu’on a un public un peu différent, qui serait plutôt éventuellement dans de la gestion, plutôt que dans le geste, dans le savoir-faire. On voit que le public évolue aussi.


Christophe Richard, Président de la CMA Grand Est, à gauche – Jean-Paul Hasseler, Président de la CCI Grand Est, à droite

Le Pacte Transmission-Reprise est un modèle de collaboration inter consulaire et régionale : quel est l’impact concret de ce modèle inédit pour les entrepreneurs et les artisans et comment envisagez-vous de développer davantage encore ces synergies ?

Jean-Paul Hasseler : Ce que j’en retire, moi, c’est la notion de guichet unique. On a tout intérêt à travailler en commun. Sur des sujets comme ça, qui, avant 2019, étaient traités chacun au sein du réseau, et des CMA et des CCI, on propose aujourd’hui une offre qui est à la fois pertinente et performante, puisqu’elle est associée à un Pacte initié par la région Grand Est. Ce qu’il faut voir, c’est toujours le bénéfice. Et le bénéfice, aujourd’hui, pour le cédant ou le repreneur : c’est gratuit. Il accède à un conseil gratuit, avec de vrais experts pour l’accompagner. C’est pour ça que je fais référence à cette notion de guichet unique, parce que je pense que ça a vraiment du sens. S’il y a quelque chose à retenir aujourd’hui en termes de pertinence pour le Pacte, c’est le fait qu’on bosse ensemble, qu’on met nos énergies en commun, nos experts en commun, au bénéfice du cédant ou du repreneur.

Christophe Richard : Je crois qu’un entrepreneur, un repreneur ou un cédant, a besoin d’être accompagné au bon endroit, au bon moment, avec la formule qui lui convient. Il n’a pas à subir les pragmatismes de nos instances, que ce soit CMA ou CCI. Je crois que c’est aussi ça qui doit plaire à la région Grand Est, de pouvoir conserver une dynamique économique sur son territoire. Ce qui rend le modèle inédit, c’est cette neutralité. Même si c’est avec les outils de la CCI d’un côté et avec les outils de la CMA de l’autre, il n’y a plus de distinction si tout le monde est accompagné de la même manière, au même niveau. Je le vois comme ça. Il s’agit d’abord de rendre service à la personne. Naturellement, je pense qu’un artisan, il va automatiquement vers la CMA. Et un repreneur, si c’est pour reprendre un commerce ou une entreprise industrielle ou semi-industrielle, ce sera plus CCI. Mais la démarche est la même. Nous avons donc le devoir de rester neutres dans notre mission.

Comment envisagez-vous la suite de cette synergie ?

Jean-Paul Hasseler : C’est grâce à des produits comme le Pacte qu’on accélérera les choses. Ça c’est sûr. Il y a d’autres exemples que le Pacte Transmission, il y a d’autres produits, mais celui-ci particulièrement fait la démonstration que lorsqu’on arrive à mettre nos forces autour de la même table, c’est très profitable aujourd’hui pour le chef d’entreprise. Et notre métier premier, c’est quand même d’apporter un service au chef d’entreprise. Ce n’est pas de se quereller entre nous ou d’essayer de voir qui est le plus beau ou qui est le plus fort. C’est fini tout ça.

Christophe Richard : Nous allons nous saisir des toutes les opportunités de créer des synergies qui vont se présenter. Depuis des années, sans même parler du Pacte, on fait des salons comme Destination CREA ou Go Entrepreneur. Une année c’est la CCI qui organise, une année c’est la CMA. Mais on est conjointement présents l’un et l’autre et à chaque fois, sur une journée, on a un peu plus de 200 porteurs de projets qui défilent, que ce soit dans le commerce ou dans l’artisanat. Donc là, aujourd’hui, on ne s’interdit pas de pousser plus loin les synergies. Aujourd’hui, ça ne peut qu’être profitable pour un département ou pour un territoire qui a intérêt à préserver son économie.

Comment cette collaboration avec la Région et les autres acteurs s’inscrit-elle, finalement, dans une politique économique plus large ?

Christophe Richard : Je crois qu’aujourd’hui, à mon poste, il faut que je sois vigilant au contexte économique de tous les secteurs. Grâce à l’outil OPAGE, nous surveillons en continu l’état des entreprises pour identifier rapidement celles prêtes à la cession. Cet outil révèle aussi les tendances financières et le moral des entrepreneurs, aidant à anticiper les besoins de transmission. En se focalisant sur l’âge des dirigeants, nous ciblons les opportunités de transmission pour la retraite ou un changement de cap. Notre objectif est de garantir la pérennité des savoir-faire et des emplois à travers un accompagnement de qualité et de promouvoir le repreneuriat comme une véritable opportunité d’entreprendre.

Jean-Paul Hasseler : Quand on voit la situation des entreprises aujourd’hui, ça paraît complètement logique que la région se soit emparée du problème, en mobilisant les chambres consulaires pour y travailler. Ça ne peut plus être autrement aujourd’hui. On est entré dans une ère où on doit forcément se mobiliser, mutualiser nos efforts pour apporter le meilleur service possible aux chefs d’entreprise. Et autant les chefs d’entreprise étaient un peu éloignés de ce genre de préoccupations, autant aujourd’hui, ça leur parle. C’est la synergie aujourd’hui des deux réseaux, CCI et CMA, qui fait, encore une fois, l’efficacité du Pacte.

En tant que partie prenante du Pacte, quels seront vos engagements vis-à-vis des artisans et des chefs d’entreprises dans les années à venir ?

Jean-Paul Hasseler : Nous évoluons dans un contexte où tous les secteurs d’activité ont besoin d’être accompagnés, d’être aidés, d’être épaulés. Qu’est-ce qui va se passer à l’avenir pour le Pacte ? Et quels seront les engagements de la CCI dans ce cadre-là ? L’idée c’est de graver ce type de dispositif dans le marbre. On a la chance aujourd’hui d’avoir des produits comme le Pacte. Leur efficacité n’est pas négociable. Toutes les entreprises, tous les repreneurs en sont très satisfaits. Quelles que soient les institutions, quelles que soient les présidences, qui passent, les produits doivent rester.

L’autre clé pour l’avenir est également de garantir la gratuité de la démarche auprès des repreneurs et des cédants. Aujourd’hui, c’est un produit consulaire. C’est un produit qui est à disposition du cédant et du repreneur de manière gratuite. Peut-être que dans l’avenir, il y aura des options payantes. On peut tout imaginer. Mais on est issu du service public et on se doit de garder une part de service public. La pertinence qu’on a auprès des entreprises, notamment sur des produits comme le Pacte, c’est qu’on a ce côté service public qui. Il y a cette zone de confiance qui est la nôtre et qu’on doit préserver.

Christophe Richard : Je pense qu’on ne peut que poursuivre et nous engager toujours plus fortement. Le Pacte a fait prendre conscience que le repreneuriat, ça existe, et c’est une voie plus qu’intéressante pour devenir chef d’entreprise ou pour céder son entreprise. Nous avons pris des engagements sur le fait de faire en sorte que cette démarche-là soit mieux connue et que les gens sachent comment ça se passe, qu’ils soient accompagnés. Maintenant, on a envie de prouver encore plus que ça se concrétise avec des chiffres, c’est-à-dire qu’on a accompagné tant de personnes et que le taux, finalement, de transformation des accompagnements, soit plus élevé.

Avez-vous un message à faire passer à votre homologue de la chambre consulaire partenaire ?

Jean-Paul Hasseler : Continuons à bosser autour de la même table. Je sais qu’il est menuisier et qu’il aura à cœur de construire la table ronde qui confirmera qu’on est parti pour un long moment ensemble sur des produits comme le Pacte Transmission-Reprise. Chaque organisation souhaite préserver ses acquis, ce qui est normal, mais pensons d’abord aux chefs d’entreprise. On a aujourd’hui des chefs d’entreprise qui souffrent, gilets jaunes, Covid-19, factures énergétiques, guerre en Ukraine. Ils sont fatigués. Donc, si on a une chose à faire, nous, au niveau consulaire, c’est de ne pas se poser de questions sur nos propres nombrils, mais de se mobiliser ensemble pour les accompagner.

Christophe Richard : Je partage cette vision. Les difficultés et les complexités de nos institutions ne doivent pas impacter les chefs d’entreprise. Même si nous avons chacun nos missions et même si dans l’artisanat, il y a quand même une particularité, c’est la transformation de la matière. Mais soyons clairs : travailler ensemble, au-delà des spécificités consulaires, enrichit notre soutien aux entreprises, que ce soit dans la transmission ou la reprise. C’est dans cette unité que réside la véritable valeur de notre collaboration. Et du Pacte Transmission-Reprise.

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